Temps de lecture : 4 min
-
Ajouter à mes favoris
L'article a été ajouté à vos favoris
- Google News
C'est le genre de grand écart qui peut tirer des grimaces aux esprits les moins élastiques. Comme le homard de Jeff Koons suspendu au château de Versailles en 2008, comme le sex-toy de McCarthy installé place Vendôme en 2014, Jean-Michel Othoniel investit le Palais idéal du facteur Cheval, dans la Drôme, pour célébrer les 110 ans de sa construction.
Jean-Michel Othoniel, l'enfant chéri de la galerie Emmanuel Perrotin, est devenu membre de l'Académie des beaux-arts en 2018. Artiste majeur à qui l'on doit notamment la bouche de métro de la station Palais-Royal, transformée en Kiosque des noctambules, le bosquet du théâtre d'eau du jardin du château de Versailles. L'artiste est entré au Louvre en 2019, au Petit Palais en 2021 lors de l'exposition temporaire « Le Théorème de Narcisse » – une de ses œuvres fait désormais partie du fonds.
Sa nouvelle exposition, « Le Rêve de l'eau », qui se tient dans le Palais idéal du facteur Cheval jusqu'au 6 novembre, propose la rencontre de l'œuvre vénérable d'un Immortel en habit vert, greffée sur celle du plus humble des humbles, un autodidacte. La rencontre paradoxale de l'académisme et de l'art brut fait-elle ici bon ménage ou gros manège ?
À LIRE AUSSI Les « starchitectes » du prix Mies-van-der-Rohe
« Cheval est un personnage sobre, réservé », nous explique sur place Frédéric Legros, directeur du Palais idéal depuis 2019. Mais contrairement à ce que l'on pourrait penser de nos jours, la fonction de « fonctionnaire des postes », dans cette Drôme de la fin du XIXe siècle, n'est pas un petit métier. Ferdinand Cheval est allé à l'école pendant 5 ans, chose peu commune pour un homme né en 1836, soit presque un demi-siècle avant que Jules Ferry ne rende l'instruction obligatoire en 1882. Cheval est facteur parce qu'il sait lire. Lire aussi le courrier aux illettrés qui en reçoivent. Cheval lit tout. Les premières revues illustrées, qui viennent de paraître, les cartes postales venues du monde entier puisque les voyages se démocratisent. Cheval parcourt chaque jour de 30 à 40 kilomètres à pied pour couvrir une tournée trop escarpée pour être envisagée à vélo. « Et que fait un homme qui marche, demande le directeur du Palais ? Il rêve. »
Ferdinand Cheval s'invente un palais mental composite. Son imagination galope entre une vue extraordinaire de la ville Alger et le Taj Mahal, passe d'un philosophe grec à des florescences fabuleuses. Jusqu'au jour où, au printemps 1879, Cheval, 43 ans, trébuche sur une pierre à la forme extraordinaire qu'il déterre. « Elle ressemble à un nuage », nous dit Othoniel, qui l'a reproduite par moulage pour en faire des appliques en verre qui éclairent la galerie souterraine. La pierre inspire au facteur une phrase désormais célèbre : « Si la nature veut faire la sculpture, je ferai la maçonnerie et l'architecture. »
Dès lors, durant ses tournées, Cheval collecte les pierres qui captent son attention, les réserve sur le bas-côté. Sa tâche accomplie, il se livre à une seconde tournée. En poussant devant lui sa brouette, il charge son butin, l'apporte dans le jardin ouvrier où il cultive son potager. À la nuit tombée, éclairé à la bougie ou à la lampe à pétrole, Cheval, sans aucune connaissance technique ni artistique, mais inventant quasiment le béton armé en trempant des tiges de fer dans la chaux et le ciment, commence la lente élaboration de son rêve.
Après 33 ans d'efforts, le palais est achevé. On vient le contempler des quatre coins du monde. Même la presse américaine en parle et Cheval pose sur la photo…
Plus d'un demi-siècle plus tard, le Stéphanois Jean-Michel Othoniel, « petit enfant des années 1970, plastique, couleurs, pattes d'eph », comme il dit, vient fendre « la jungle » qui entoure alors le Palais. À partir de 6 ans, chaque été, il rend visite à sa grand-mère, « fille de ferme puis bonne dans cette région très enclavée, très austère ». Sa mère, institutrice, « à l'affût de ce qui pouvait rendre un enseignement plus passionnant pour ses enfants », les emmène dans le dédale syncrétique de Cheval. « Enfant, je pense que ce qui m'intéressait, c'était la liberté totale du facteur. De passer d'un univers à un autre, le côté inquiétant des grottes, de la galerie souterraine, des monstres partout. » Un art brut dans lequel les enfants « se projettent facilement », parce que « moins intimidant, voire désinhibant », précise Othoniel, qui avoue être devenu depuis un « grand amateur » de cet art libre.
Mais au-delà des affinités électives et d'un terreau familial commun, si Othoniel a été invité par Frédéric Legros à investir l'espace du Palais idéal – « un monde clos, avec sa propre folie, où il n'y a rien à rajouter », et qu'il a approché de façon « homéopathique et poétique », précise l'artiste –, c'est pour réaliser « le grand rêve » du facteur : mettre le Palais en eaux.
À LIRE AUSSI Le réenchanteur public Jean-Michel Othoniel
« C'est une chose qui n'existait à l'époque que de façon très éphémère ! » éclaire le directeur. Lorsqu'il achève son œuvre en 1912, Cheval embauche une bonne, Julia Micoud. Chaque après-midi, quand les visiteurs se présentent, elle se cache dans la tour et jette des seaux d'eau pour faire fonctionner les fontaines et les cascades. « Un réseau d'eau dissimulé, qui ne fonctionnait pas vraiment », précise Frédéric Legros, mais souligne la dimension proche du « happening » que réserve la visite du Palais par son créateur.
L'exposition « Le Rêve de l'eau », d'Othoniel, vitraux, perles et briques de verre sur lesquelles coule et bruisse l'eau, « ranime le rêve du facteur », jusqu'au 6 novembre.
« Le Rêve de l'eau », de Jean-Michel Othoniel, au Palais idéal du facteur Cheval, du 14 mai au 6 novembre 2022.
Quelle manie ont les "artistes" modernes de vouloir à tout prix s'intégrer dans l'art plus ancien ? Avec la complicité plus qu'agissante d'un président pourtant sensible à la beauté, Pei a dénaturé la cour extérieure du Louvre et voilà qu'aujourd'hui un créateur fantaisiste s'empare sans aucun respect d'un chef d'oeuvre naïf qui ne lui a rien demandé. Non que je déteste son oeuvre, mais pas ici !
Il se trouve que j'ai découvert très récemment le palais du facteur Cheval orné de ces sculptures qui s'apparentent plus selon moi à de la déco qu'à de l'art mais le mariage des deux est assez heureux.
À moins que le cadrage soit mauvais, ça apparaît archi-nul